Ces dernières années, nous sommes assaillis d’émissions télévisées vantant les joies de la cuisine, des produits du marché, produits du terroir ou produits bio….. Chacun devant rivaliser d’ingéniosité, d’imagination, d’originalité, avec, souvent, un esprit de compétition qui peut étonner toute une génération qui a « mijoté » dans les cuisines de leur grands-mères.
Dans ces cuisines, il n’y avait pas de « chichis », pas de belle vaisselle, encore moins de vapeurs d’azote ou de petit brin de persil en déco pour convaincre de la fraîcheur du mets que la « Mama » nous servait. Le potager n’était jamais bien loin des maisons modestes; il suffisait d’aller de bon matin cueillir ce que la nature voulait bien nous offrir. Un petit tour dans le maquis ou la forêt proches permettait de rehausser les plats d’une touche épicée ou acidulée, parfumée; la magie s’opérait si naturellement, sans questionnement, sans stress, avec une simplicité innée qui se transmettait de génération en génération. Les enfants passaient leur temps dans les blouses de leur maman, épiant le moindre geste qui restera gravé à jamais dans leur mémoire. Les recettes et le savoir-faire se transmettaient par ces gestes et ces odeurs, par ces saveurs et cet amour, ingrédient essentiel de la cuisine familiale. En effet, toute la famille se régalait tout simplement parce qu’elle n’était qu’Amour, amour et respect de la nature, amour de ces tablées familiales où les rires, les anecdotes, les » paghjella » improvisés allaient bon train. C’était toujours la « Mama » qui servait et lorsqu’elle passait vers chacun de nous, on pouvait deviner, à l’odeur de son grand tablier, ce qu’elle nous avait mijoté. Quand la nature avait oublié de nous offrir le meilleur de ses trésors, elle disposait toujours d’un bol de farine de châtaigne, d’un peu d’huile et de sel, un morceau de panzetta; cela suffisait pour faire surgir, comme par magie, sur la table familiale, un bon pain, des beignets tout chauds ou bien encore ces fameuses petites crêpes « i nicci « ……
Au siècle dernier, dans certains villages isolés au plus haut des montagnes, certains produits de première nécessité manquaient. Comment faire alors pour préparer le repas pour les travailleurs affamés, qui devaient rentrer de leurs activités? Il ne restait plus qu’une solution : l’entr’aide avec les autres femmes du village. Les enfants, en général, étaient alors d’un grand secours pour courir d’une voisine à l’autre, et s’enquérir, de quelques carottes par ci, d’une branche de cèleri par là, d’une ou deux courgettes, sans oublier un os de jambon cru où restaient toujours accrochés quelques lambeaux de viande. Pendant ce temps là, la Mama préparait son chaudron, déposait son caillou au milieu, coupait quelques pommes de terre et des gros oignons en quartiers. La veille, elle pensait toujours à faire tremper quelques gros haricots secs qu’elle allait faire cuire dans son chaudron. Les quelques trésors grappillés de droite et de gauche, viendront s’ajouter au bouillon et aux haricots, avec quelques cuillères d’huile d’olive, des gousses d’ail écrasées, un peu de sel et de poivre, sans oublier les quelques herbes sauvages cueillies au passage….. La soupe sera prête dès que les légumes pourront être écrasés facilement. Elle épaissira en ajoutant des grosses pâtes et en mijotant encore quelques minutes.
Des recettes comme celle-ci, chaque famille en possède : feuilles jaunies par le temps, souvent tâchées de gras, pliées et dépliées tant de fois, qu’on les ouvre avec d’infinies précautions, de peur qu’elles ne se déchirent à l’endroit même de la pliure….. On reconnaît l’écriture tremblotante d’une grand-mère, les doigts engourdis par l’arthrose. Elle aura cédé aux demandes des enfants : les secrets de la cuisine familiale doivent être transmis avant ….. que la Mama aille rejoindre les ancêtres…. Parfois, la cataracte voile le beau regard bleu que l’on aime tant, alors c’est la petite fille, en revenant de l’école, qui s’appliquera à écrire religieusement les paroles que la grand-mère lui dictera dans son patois.
Ce patrimoine, d’une valeur inestimable, traversera les générations, de mère en fille; ces recettes, réunies précieusement dans de vieilles boîtes à biscuits en fer ou dans des chemises cartonnées aux élastiques distendus. Elles seront lues et relues, appliquées à la lettre et pourtant, on entendra toujours la réflexion où se mêlent une pointe de tristesse et de déception : c’est bon, mais on ne retrouve pas le goût de notre enfance…. Il manquera toujours quelque chose : la petite touche « magique » de la grand-mère, l’ambiance de la maison familiale et les odeurs de la Corse, si l’on fait partie de ces « exilés », les herbes du maquis qui auront perdu de leur parfum en traversant la Méditerranée…..
Et pourtant, si l’on sait que « cuisiner » c’est faire plaisir, aimer partager, si on aime la vie et la nature, si on aime son île et sa famille, alors nos marmites sauront nous rendre les saveurs de la mer, de la montagne ou du maquis, des rivières et des forêts. Alors, conservons bien nos traditions pour le plus grand bien de nos futures générations……
SOUPE CORSE » A MINESTRA »
Comme beaucoup de soupes, la soupe corse, la plus traditionnelle et la plus connue, se prépare avec tous ce que l’on a sous la main. C’est pourquoi, chaque fois, la soupe restera unique, aura un goût différent.
Au fond d’une marmite, faire revenir un morceau de panzetta ou bien simplement de la couenne, avec deux gros oignons coupés grossièrement ainsi qu’une belle tomate bien mûre. (Attention, la panzetta étant salée, goûtez la soupe avant de mettre du sel).
Coupez des bettes finement presque hachées, ainsi que deux poireaux, deux carottes, 5 ou 6 pommes de terres vieilles, une poignée d’haricots verts, tous coupés en petits cubes. Les faire cuire à feu doux, à l’étouffée, en remuant régulièrement.
La veille, faire tremper environ 500 G d’haricots rouges secs (si vous n’en avez pas, remplacer par des blancs ou des soissons). Recouvrez le tout d’eau bouillante et laissez cuire doucement pendant au moins 2 heures.
Lorsque les haricots et les pommes de terre auront fondu, la soupe est prête. Au dernier moment, vous préparerez des feuilles de basilic finement ciselées, mélangées à l’huile d’olive que vous incorporerez dans votre soupe
Certaines cuisinières rajoutent un bol de riz ou des petites pâtes( dés ou coquillettes, environ 200 G) quand la soupe est très chaude. Prévoyez alors 15 mn de cuisson supplémentaires.
Bonne dégustation!!!!
Un hommage à la Mama Corse par Patrick Fiori